La Byzantine (3).22 septembre 2011,
Teodora fila du domaine de Fúinntönn aux aurores du 4 septembre en compagnie de ses gardes (deux) et de Karlungr, son érudit qui maitrisait le grec ancien. Ils chevauchèrent ensemble plusieurs jours d'affilés sur les grands plateaux du Lettahǫfn. Plats au nord-est, ceux-ci se tapissaient d'abondantes tourbières et de marécages. Au delà, le paysage laissait place à d'importants vallonnements couverts de landes et de massifs forestiers. La région abritait enfin une myriade de hauts tertres. Le spectacle intrigua la jeune femme qui sonda le savant : étaient-ce des sépultures ? Karlungr acquiesça et répondit que de très vieux os reposaient dans ces tumulus. Teodora trouva le spectacle fascinant. De peuplement assez éparse et rare, les villages étaient très éloignés les uns des autres, et situés systématiquement à quelques pas d'un château ou d'une église. Malgré ses quelques recherches, la byzantine échoua à trouver un culte Orthodoxe. A la place, elle découvrit, un soir, le catholicisme local. Le cœur de la messe était le même qu'ailleurs dans la catholicité, cependant, les chants liturgiques et les célébrations s'effectuaient en vieux-thorvalois. Par ailleurs, le « Propre » (prières, gestes rituels, lectures...) se différenciait à bien des égards, au même titre que les calendriers liturgiques qui comptaient des fêtes chrétiennes teintées de paganisme, ainsi que des saints régionaux ou locaux parfois peu conformes et inconnus en Occident. En outre, le rite disposait de cérémonies dédiées à la consécration d'arbres, de rochers, de rivières... Historiquement, le clergé thorvalois fit valoir l’ancienneté (plus de 200 ans) de son rite catholique, et échappa ainsi aux réformes liturgiques papales du XVIe et celles de tout les siècles suivants.
Depuis le départ, Teodora cherchait à créer des relations avec la noblesse et cela ne fut pas de tout repos. Trois châteaux refusèrent de lui ouvrir, par méfiance des étrangers, quand un autre seigneur accepta de l'entendre uniquement pour lui rire à la figure et la balancer aussitôt dehors. A la forteresse de Kumbland, une paysanne revêche et antipathique lui referma violemment le judas sur les doigts. Teodora se crispa et en cria de douleurs. Doué de sapience, Karlungr s'attela aussitôt aux pansement du membre meurtri de sa maitresse. Reprenant la route, le groupe s'arrêta quelques lieues plus loin au château d'Höfuðstaðr. Ils y demandèrent audience au Jarl avant d'être conduit au Grand Hall. Le seigneur Knútr VIII s'y trouvait : c'était un homme jovial aux longs cheveux froment. Il portait une tunique de teinte sombre, vieillie et abimée, au col et aux manches bardés de fourrures. Une cape de laine grise, fixée par une broche argentée en forme d'ours, lui flattait les épaules. Mais surtout, le Jarl était terriblement gros : à l'évidence l'homme ne pouvait guère plus monter à cheval et encore moins se battre. Après un court échange, Teodora offrit ses services au seigneur, la Foi et l'Hommage. Knútr VIII se gratta alors le menton et la regarda fixement dans les yeux. Au final, le gaillard accepta d'un rire gargantuesque sous les clameurs de l'assemblée et des galeries pleine de monde. C'est alors que la femme s'avança et mit un genoux en terre. Elle prêta ensuite serment, avec l'aide de son érudit, selon la formule coutumière : «
Feal estre a Knútr li Grant et Dieu je jure ». A ce moment, le nobliau renferma ses mains sur les siennes, la releva et l'embrassa langoureusement sur le front. La Valdaque était désormais son vassal et recevrait le domaine de Ginnheilagrbjǫð. Knútr VIII retrouva aussitôt sa cathèdre, provoquant un léger tremblement de terre, et annonça un banquet pour célébrer la chose. Ce soir là, la byzantine n'avait jamais si bien mangé ou dormit depuis son arrivée dans le royaume. Toute fraiche et heureuse, elle prit la route le lendemain avec ses gens et rejoignit son fief au cours de l'après-midi. Celui-ci couvrait quelques trois cent arpents, comprenait un village, un bois, un moulin, une prairie et des soles de blés. Le château seigneurial parut petit et rustique au goût de la femme, mais suffirait certainement.
La nouvelle demeure de la byzantine... L'édifice trônait sur un tertre et arborait une double enceinte de pierre. Celle-ci renfermait un donjon dans lequel se trouvait au moins une chambrelle, une salle de banquet, une armurerie et un cellier. En somme, le principal lieu de vie. La cour intérieure, dont le sol n'était guère pavé, présentait plusieurs petits bâtiments dont une cuisine, un cellier, une écurie, une porcherie et une bergerie. Évidement, il n'y vivait guère plus aucun animal, seulement des litières de paille et des excréments. L'ensemble n'était toutefois pas en mauvais état. Teodora convoqua quelques paysans afin de déblayer, faire des provisions et, in fine, proposer à ces derniers de travailler continuellement au château en échange du gîte et du couvert. Ceux-ci acceptèrent sans broncher, même plutôt heureux. Le surlendemain, un coffre fut déposé dans la salle de banquet. Peu méfiante, la dame l'ouvrit avant de reculer d'effroi. Un profond frisson lui parcourra l'échine et pour cause : le contenant contenait un mot, ainsi que... la tête de Karlungr. Le savant était partit la veille à la recherche de plantes et n'était pas revenu... La femme tendit la missive à ses gardes mais aucun d'eux ne savait lire. Ils en déduisirent toutefois rapidement la situation et firent passer le message en mimant avec leurs haches, tout en prononçant le mot fatidique «
Striith » (guerre en vieux-thorvalois). En effet, le Jarl de Eyrrheimr, également vassal de Knútr VIII, venait de déclarer la guerre à la Valdaque, Dame de Ginnheilagrbjǫð. Néanmoins, peu de chance que le malotru ne s'y risquât maintenant, il attendra surement le printemps. A peine sur son trône, Teodora courrait déjà un grave danger. Au delà de l'hostilité des féodaux pour la nouvelle venue, elle devait se préparer en vue de la saison morte. Sinon, dépourvue de clan, de paroisse, d'assise et ayant aucun vrai groupe sur lequel s'appuyer, elle risquait de ne pas passer l'hiver. Elle devait à tout prix se faire connaître : la société féodale et traditionnelle était impitoyable vis à vis des inconnus et des solitaires. Au final, Ginnheilagrbjǫð n'était-il pas un cadeau empoisonné ? Un domaine indéfendable ? Être seigneur était une chose, encore fallait-il s'y maintenir.